“Plus jeune, j’avais une peur bleue des castings” : Du buzz à son nouveau spectacle “Femme toi-même !”, l’humoriste Aurélia Decker se raconte sans langue de bois
“Plus jeune, j’avais une peur bleue des castings” : Du buzz à son nouveau spectacle “Femme toi-même !”, l’humoriste Aurélia Decker se raconte sans langue de bois
Passionnée depuis son plus jeune âge par la comédie, c'est dans l’humour qu’Aurélia Decker a trouvé sa place. Femme passionnée, authentique et déterminée, elle s’affirme et n’hésite pas à parler sans langue de bois des sujets actuels d’une société qui ne cesse d’évoluer dans “Femme toi-même !”. L’équipe de Casting.fr est partie à sa rencontre pour en savoir plus sur son nouveau spectacle à retrouver à la Divine Comédie à partir du 16 septembre.
Bonjour Aurélia. Avez-vous toujours voulu être comédienne ?
A.D : L’envie de jouer la comédie remonte à l’âge de 8 ans, quand je regardais la série “Madame est servie”. J’étais fan du personnage de Samantha, joué par Alyssa Milano. Je voulais être elle ! Cette jeune fille, un peu garçon manqué, cool et rigolote qui jouait au basket. J’ai alors demandé un panier de basket pour mon anniversaire, et je me suis présentée au conservatoire de ma ville. On ne pouvait pas commencer le théâtre avant l’âge de 10 ans. J’ai fait des pieds et des mains pour commencer à 9 ans. Face à ma détermination, la professeure a accepté et je n’ai jamais arrêté. En revanche, le basket si !
Pourquoi vous êtes-vous tournée vers l’humour ?
A.D : J’ai commencé par une formation classique au conservatoire de Suresnes, au Cours Simon et au Studio 34. J’aimais travailler en collectif et dans tous les registres, aussi bien la comédie que le drame ou la tragédie. Mais assez vite, mes professeurs valorisaient mon “vis comica” et m’encourageaient à l’exploiter. Parallèlement, avec mon frère, on passait notre temps devant Les Inconnus, Bigard, Muriel Robin… Ce qui a encore plus nourri mon envie de faire rire. Vers 28 ans, j’ai participé à un stage AFDAS sur le One Man Show, dirigé par Philippe Ferran. Ça a été une vraie rencontre. Nous avons par la suite travaillé pendant 10 ans ensemble. Il m’a tout appris, aussi bien en jeu qu’en écriture. Il avait collaboré pendant de longues années avec Jacques Villeret et ça a été mon mentor pour faire mes premiers pas seule sur scène. Nous avons ensemble fait deux spectacles, où je cherchais mon clown et mon ton. Au début, je jouais des personnages dans des situations. Il m’aura fallu un certain temps avant de réussir à casser le quatrième mur. Ce troisième spectacle “Femme toi-même !”, plus personnel, est l’aboutissement de 10 ans de travail.
Qu’est-ce qui vous a inspiré ce spectacle ?
A.D : J’étais un peu essoufflée après mon deuxième seule en scène et j’ai eu la chance de revenir au théâtre pendant un an avec le spectacle “Le Clan” d’Eric Fraticelli, ce qui m’a fait beaucoup de bien. Puis je me suis mariée, je suis devenue maman et j’ai suivi mon mari en Ardèche. tous ces changements ont eu un impact sur la femme que j’étais en train de devenir. Parallèlement, l’actualité était un peu bouillante : le mouvement #Meetoo prenait de l’ampleur, une nouvelle étape dans le féminisme se mettait en place, on commençait à parler de wokisme, de genre, la génération Z devenait de plus en plus militante, Greta Thunberg haussait la voix pour le climat. Pour couronner le tout, le Covid a mis en place de nouveaux modes de vie et de pensée. Dans le calme de l’Ardèche, ma fille au sein, devant la télé, j’essayais un peu de comprendre comment je me situais face à tout cela et je me suis interrogée : “À l’aube de mes 40 ans; qui est la femme qui habite dans ce corps ?”. L’avantage, quand on passe le cap de la quarantaine, est qu’on est un peu plus décontractée pour aborder certains sujets sans peur, car on craint moins le regard des autres !
Parlez-nous un peu de celui-ci.
A.D : J’essaye de répondre en 1h15 à la question, en apparence banale, de ma fille de 4 ans “Maman c’est quoi une femme ?”. Et entre mon éducation bourgeoise, ma vie calme en Ardèche après une vie tumultueuse parisienne, mon nouveau rôle de maman, mon mari senior, mes aspirations, mes doutes, les questions de société, la complexité de la vie en général, je réalise que cette question provoque plus d’interrogations que de réponses. Je mets en scène un personnage qui gamberge, ce qui la rend attachante car elle n’affirme rien et tente de s’amuser de tout (à défaut d’en pleurer). Elle flirte avec l’irrévérence et a beaucoup d’humour sur elle et sur les autres. Et puis, il faut l’admettre, de grands combats que l’on veut mener jeunes fanent un peu en vieillissant ou en devenant maman. Je voyais aussi que la jeune génération avait tendance un peu à perdre le sens de l’humour. Quand ma belle-fille de 18 ans, m’a dit que la série “Friends” était homophobe et misogyne, j’ai un peu flippé. Se battre pour ses droits et pour une société plus vertueuse, ok, mais à condition qu’on ne nous impose pas une dictature de la pensée et qu’on ne perde pas le sens de l’humour.
Combien de temps prend-on pour écrire un spectacle ? Est-ce difficile de se mettre d’accord sur l'écriture quand il est co-écrit ?
A.D : Je ne sais pas si un spectacle est véritablement fini d’être écrit un jour ! Je dirais qu’entre les premiers mots jetés sur le papier et ma première, il y a dû avoir deux ans, dont 5 mois de réécriture totale. Me concernant, il y a une base qui ne bouge pas. J’ai un fil conducteur bien en place et je raconte une histoire. Il y a un moment au début du spectacle où je peux, au gré de mes envies, rajouter quelques vannes sur l’actualité, en général ou sur la ville dans laquelle je joue. Mais le reste est très écrit. Les soirs où je suis en forme, je peux improviser avec le public. Ce qui est toujours le plus long est de savoir de quoi on veut parler et à qui. Pour qu’un spectacle ait du fond, il y a un certain travail intellectuel d’introspection un peu sérieux à faire au début avant d’arriver vers une légèreté et de la drôlerie ! J’ai, dans un premier temps, écrit seule ce spectacle. Puis consciente de certaines de mes failles et aussi par envie et plaisir de travailler collectivement, je me suis rapprochée d’un auteur (Christian Faviez) qui est intervenu sur tous mes sketches et a véritablement su saisir mon humour et mon franc-parler. Dans un deuxième temps, je me suis rapprochée de Philippe Sohier pour la mise en scène.
Quelles qualités faut-il pour devenir comédienne et humoriste ?
A.D : Je dirais qu’avant tout, il faut rester curieux. Pour interpréter un personnage, tout ce qui nous entoure peut servir. Il faut donc aller sur une terrasse de café, observer, écouter, scruter les gens autour de nous. Il faut lire, aller au musée, au cinéma, voir des spectacles, écouter de la musique. Un tableau peut inspirer une belle lumière pour un sketch. Une musique peut être le point de départ d’une émotion. Il faut s’intéresser à l’autre, qu’il nous raconte son histoire. Voir aussi ce qu’il se fait à l’étranger, comment nos collègues travaillent. Pour une humoriste, je dirais qu’il faut particulièrement rester proche des gens et accessible. On est un peu le miroir de la société. Comment faire rire les gens si notre réalité est très éloignée de la leur ? Sortir de mon milieu parisien, pour aller vivre dans une petite ville en Ardèche, a été très inspirant, même si l’adaptation n’a pas toujours été facile. Cela m’a permis aussi d’avoir un regard plus critique sur les grandes villes, de comprendre certaines problématiques que l’on peut rencontrer dans les milieux ruraux, d’atténuer certains jugements …Et sans doute d’apporter une touche d’humanité et d’ouverture dans mon écriture. Je dirai aussi, sur un plan de santé mentale, qu’il faut être bien entourée et solide (comme dirait l’humoriste Edgard Yves). On donne beaucoup de soi pour faire rire les autres. Et on est aussi très seul quand on retourne dans la loge. C’est un exercice un peu d’équilibriste entre le rire et les larmes, la joie et la solitude. Le parcours d’une humoriste est difficile. Quand on vient sur scène avec l’unique envie de faire rire et que ça ne marche pas, c’est une véritable petite mort, parfois même proche de la honte. Alors même si la sensibilité de l’artiste est très importante, il faut bien la traiter, sinon on peut laisser quelques plumes en chemin. Pour moi, l’humoriste, plus qu’un comédien, est une sorte d’athlète. Il jongle avec tellement d’émotions que je pense qu’avoir une bonne hygiène de vie et pratiquer du sport est important ! Ce n’est pas rien d’être seule sur scène et de faire rire 500 personnes dans une salle. On est un peu comme un boxeur dans un ring et on doit mettre des uppercuts de rire au public !
La vidéo de votre sketch “Chauffe-le !” a atteint les 2,5 millions de vues. Vous attendiez-vous à ce succès ?
A.D : Halala, ça ne nous rajeunit pas… Figurez-vous qu’elle a fêté ses 10 ans en juillet 2024 ! Je me demande si c’est encore honnête de ma part de l’utiliser dans ma bande démo ? J’ai évidemment pris un petit “coup de pelle”. Je suis très fière de cette vidéo aussi bien en tant que comédienne qu’en tant qu’auteure ! Je l’avais écrite à 100% seule, c’était un challenge ! Après, il y a eu un formidable travail de la part du réalisateur Thibaut Oskian et de mon partenaire de jeu Clément Vieu. C’était pour une petite chaîne web qui n’était pas très connue. Il y avait très peu de moyen. Force est de constater que c’est la bonne idée et le jeu qui ont payé. C’est mon unique succès populaire, mon petit “Born to be Alive”,mais je n’ai pas touché autant de droits. Ce qui m’enchante c’est de voir qu’elle circule encore sur TikTok, qu’elle fait rire les plus jeunes et qu’aujourd’hui encore on m’en parle, et même qu’on me reconnaît. Quand on me dit que c’est un sketch culte, je jubile ! Et je crois qu’il est là le succès. Avoir mis en scène une situation très forte qui (tant que les applis de rencontre existeront) fonctionnera au fil des années ! Un peu comme la plupart des sketches des Inconnus ! Quand elle est sortie, je tractais pour le Festival d’Avignon. C’était fou. J’essayais d’avoir une trentaine de personnes dans ma salle et en 24h la vidéo avait fait 100 000 vues. Au bout de quelques jours, quand j’allais voir les gens pour parler de mon spectacle, alors que j’avais travaillé un discours classe et percutant, il pouvait y avoir un mec qui m’interrompait en me disant “Hey mais c’est vous la meuf de la bifle”. Alors dis comme ça, je ne sais pas si ça donnait envie à la personne à qui je parlais d’aller voir mon spectacle, mais ça me faisait beaucoup rire !
Comment rebondit-on après un buzz comme celui-ci ?
A.D : Quelqu’un de plus confiant et de mieux entouré aurait sans doute su saisir l’opportunité de ce succès pour transformer ce sketch en long-métrage. J’aurais aimé qu’elle m’ouvre des portes pour la comédie au cinéma. Ça n’a pas été le cas. En revanche, je me suis retrouvée grâce à cette vidéo chroniqueuse pour l’émission de Stéphane Bern dans “Comment ça va bien” sur France 2. Ça c’est joué à peu de chose que je me retrouve dans la série “Scène de Ménage” pour le couple Camille et Philippe. Puis j’ai décroché un rôle plus consistant au théâtre dans la pièce “Le Clan” d’Eric Fraticelli, puis un petit rôle par la suite dans son film “Permis de construire”. Donc je ne vais pas me plaindre, elle m’a donné du boulot.
Avez-vous déjà passé des castings ?
A.D : Venant du théâtre, quand j’étais plus jeune, j’avais une peur bleue des castings et je pensais que c’était un autre monde difficilement accessible. Il y a 20 ans, on nous déconseillait de participer à certains castings de séries françaises (genre ‘Plus Belle la Vie’), pouvant être négatives à notre image et que cela pourrait nous fermer les portes du cinéma. Mais paradoxalement, avoir accès à des castings pour le cinéma était extrêmement difficile. Il fallait avoir un très bon réseau. Avoir son spectacle solo est très épanouissant. On joue non-stop pendant 1h20, les gens viennent nous voir pour rire de choses qu’on a écrites. Je ne voyais pas trop l’intérêt de faire un casting pour un rôle de 3 phrases dans un film moyen qui me demanderait d’aller à 5h du mat sur un tournage. Disons que j’avais le luxe d’être intermittente en jouant ce que je voulais. Je ne me suis pas battue pour faire des tonnes de casting, la scène me suffisait. C’est lors d’un stage de “travail de casting” que je me suis complètement décontractée sur l’exercice. Je n’ai plus vu les directeurs de casting comme des personnes terrifiantes qui sont là pour te juger, mais comme des partenaires de jeu. Ils ont autant besoin de nous qu’on a besoin d’eux. J’ai découvert qu’un casting pouvait être sympa. L’exercice du One man show m’a aussi beaucoup aidé dans les castings. Tu es très entraînée à te concentrer rapidement, à être force de proposition et à jouer avec tout ce qui t’entoure.
Une anecdote de casting à nous raconter ?
A.D : Il m’est déjà arrivé une fois devant la directrice de casting de réaliser que j’avais bossé le mauvais personnage. Elle voulait me voir dans l’autre rôle que je n’avais absolument pas appris ni travaillé. J’étais en panique, mais je ne me suis pas démontée et je suis partie en improvisation en sortant complètement du texte, mais avec une sincérité déconcertante, et pour cause, je n’avais pas le temps de me poser 10 000 questions. Il fallait que je me sauve de cette situation. Coup de chance, ça a marché, elle m’a revue. Au final, je n’ai pas été prise car j’étais un peu jeune par rapport au personnage. Mais cela restera un bon souvenir.
Quel conseil donneriez-vous aux comédiens de Casting.fr ?
A.D : Ne perdez pas de temps à vous comparer aux autres, même si c’est très difficile avec les réseaux sociaux. On est tous singuliers et on peut tous avoir une place. Parfois, c’est juste plus long que pour d’autres. Quand on a un coup de mou, il faut repenser à l’enfant qu’on était et qui avait des étoiles dans les yeux quand il se déguisait. C’est important de ne pas trop s’isoler, de faire des stages, de monter des projets avec d’autres comédiens, de rester curieux. Et quand ça ne va pas, pourquoi pas écrire. Ce qui est beau avec ce métier, c’est que tout ce que nous vivons peut-être le point de départ d’une création. Aujourd’hui avec un IPhone, on peut faire un court-métrage. La concurrence est rude, mais je suis persuadée que le travail paie toujours. La chance aussi, et ça, j’admets qu’on n’est pas tous égaux face aux bonnes rencontres. Osez dire à quelqu’un dont vous aimez le travail que vous voulez travailler avec lui. J’étais très orgueilleuse plus jeune et je pensais qu’on viendrait me chercher. Grosse erreur ! Acceptez de passer tous les castings qu’on vous propose même si le projet ne vous passionne pas, sauf si ça atteint votre pudeur. Ça reste toujours un bon exercice. Il faut se dire que le casting est juste un jeu. Venez me voir en spectacle, on en reparle après !$
Retrouvez Aurélia Decker dans "Femme toi-même !" tous les lundis à 19h30 à la Divine Comédie (2 rue Saulnier 75009 Paris).
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Crédit photo : Philippe Vermale