“Ce n'est pas donné à tout le monde de tenir le coup face à l’exercice des castings” : Les confidences d’Enzo Enzo à l’occasion de son grand retour musical et poétique avec “Pantoum”
“Ce n'est pas donné à tout le monde de tenir le coup face à l’exercice des castings” : Les confidences d’Enzo Enzo à l’occasion de son grand retour musical et poétique avec “Pantoum”
Bercée par la musique depuis son enfance, Enzo Enzo revient aujourd'hui avec un nouvel album et un spectacle, Pantoum, où la poésie et la musique se mêlent. Dans cette création, la chanteuse de “Juste quelqu’un de bien” nous invite à explorer l’univers des poètes qu’elle admire. Comment redéfinit-elle son lien avec la musique ? Quelles inspirations l'ont poussée à se tourner vers la poésie ?
Quel est votre premier souvenir musical ?
E.E : Mon père chantait tout le temps à la maison. J'entendais des chansons à la radio le matin, pendant le petit-déjeuner, avant d’aller à l'école. Nous avions un tourne-disque, et des quarante-cinq tours avec deux morceaux par face. J'aimais Johnny Hallyday : Noir c'est noir, Entre mes mains, Que je t'aime. Dans la voiture, on chantait chacun notre tour et parfois ensemble, des chansons de variété qu'on aimait, mais aussi des chansons plus anciennes que ma grand-mère ou mes parents connaissaient de leur jeunesse. Ensuite, j'ai découvert Jimi Hendrix, les Platters, les Who, Cat Stevens, Louis Armstrong, Crosby, Stills, Nash and Young, Pink Floyd, Léo Ferré. À partir de là, les chansons ne m'intéressaient plus autant. J'avais découvert des sons et j'adorais ne pas comprendre les paroles. Je ressentais la musique, et ça me plaisait ainsi. Je laissais libre cours à mon imagination.
Votre nouvel album “Pantoum” mêle musique et poésie. Quel est votre rapport à la poésie ?
E.E : J'aimais les récitations à l'école. J'étais une enfant qui aimait lire et écrire. Plus tard, en tant qu'adulte et chanteuse interprète, j'ai aimé les artistes et les auteurs avec une patte, des idées, un propos que j'avais envie de porter et d'apporter sur scène aux autres. C'était un déclencheur plus important, au départ de la création, que la musique. Ensuite, le charme essentiel de la mélodie pouvait apparaître. C'est ce qui est passionnant quand on construit un répertoire. Une chanson doit assembler une idée, un style, une dramaturgie, sur des harmonies, une pulsation, et un chemin mélodique. La voix réunit le tout, et l'arrangement colore l'époque et l'humeur. J'écris rarement, et j'ai beaucoup chanté certains auteurs de chansons auxquels je me suis attachée ; mais cette fois, j'ai ressenti une sorte d'urgence et d'envie de m'émanciper de l'époque. Je n'avais pas un goût prononcé pour les recueils de poésie, mais je me suis mise à en lire, en quête de textes qui pourraient devenir des chansons. Et là, je suis entrée dans un monde vaste. Certains poèmes m'ont donné beaucoup d'émotions. Dans ces cas-là, je lisais tout ce que je pouvais trouver sur leur auteur. D'autres poèmes ne me parlaient pas du tout, et je me décourageais parfois. J'ai compris que mener mon projet à terme serait plus long que je ne l'avais imaginé. Cela a pris environ cinq ans.
Comment transforme-t-on une poésie en chanson ?
E.E : Comme la poésie prend des formes diverses, selon les époques, le ton, la longueur, la rime ou non, la structure des textes que j'avais choisis ne s'adaptait pas facilement à la forme structurée d'une chanson. Les compositeurs ont été très patients avec moi, et aussi confiants. Mon enthousiasme a fini par triompher de certaines difficultés. Leur talent et leur implication ont été admirables. J'avais des scrupules à couper dans les textes. Il a fallu demander des autorisations aux ayants droit, en passant par les éditeurs pour les auteurs dont les œuvres ne sont pas dans le domaine public. Mais je n'avais pas toujours la conscience tranquille. Cependant, au moment où le texte trouvait sa musique, lorsque je retrouvais l'émotion éprouvée à la lecture du poème initial, je me sentais rassurée. Des amis poètes, dont Yvon Le Men, m'ont accompagnée dans ces doutes.
Comment avez-vous trouvé l’inspiration pour cet album et ce spectacle ?
E.E : J'aime être sur scène. Les sensations y sont fortes. Le rapport avec le public, le répertoire, les musiciens. C'est intense. J'ai l'impression d'être complète et d'être, pendant ces moments, au meilleur de moi-même. Avec la possibilité de passer d'un état à un autre, avec la sensation de communier, d'être dans une forme de communication sans codes, sans barrières. Dans un monde sensible où les émotions de chacun se renvoient, comme une balle imaginaire qui rebondirait dans l'espace clos qu'est un théâtre. Le temps passe. J'ai pensé que je n'aurais peut-être plus beaucoup d'occasions de présenter un nouveau projet. Comme la notion d'album semble dépassée, et que nous écoutons désormais des morceaux selon nos sélections sur les ordinateurs, la création d'un spectacle vivant est pour moi la meilleure manière de prendre le temps d'installer un climat, de créer une bulle dans laquelle développer une idée, ou une suite d'idées, qui reflètent un idéal ou une intention, dans un temps plus long que celui d'un seul titre. Lors d'un concert, le temps s'arrête et on échappe à ce qui se passe dehors. On fait résonner tout ce qui se passe en nous, et on est ensemble. On reconnaît nos pensées profondes et nos sentiments. J'aime beaucoup ça. Pour cette fois, qui pourrait être la dernière, je voulais présenter un répertoire composé de textes d'hommes et de femmes qui parlent un même langage, poétique.
Vous êtes accompagnée sur scène par une pianiste et une violoncelliste. Racontez-nous comment vous les avez rencontrés.
E.E : La pianiste Hélène Weissenbacher, qui est aussi compositrice de certaines chansons et a travaillé aux arrangements, et Delphine Gosseries, la violoncelliste, également impliquée dans les arrangements et auteure des illustrations bleues du visuel de cet album, sont deux amies. Nous nous connaissons depuis plus de dix ans. Nous avions déjà collaboré lors d'une création sur des textes de Marie Nimier. Nous vivons proches les unes des autres. J'adore leur personnalité, leur amitié, leur rapport à la musique, leur regard. Je les aime parce que je me sens totalement moi-même avec toutes mes lacunes et mes fantaisies. Elles savent tant de choses sur leur instrument, sur la musique. Les voir, les écouter, nager avec elles, rire avec elles, les savoir là et les regarder jouer ce répertoire sur scène à mes côtés est un trésor dans ma vie aujourd'hui.
Comment décririez-vous votre carrière artistique ?
E.E : Mon parcours artistique est aussi le fruit de ma nature. Mon rôle maternel a compté autant que mes expériences musicales. Je prends mon temps, et le but n'est pas clairement défini.
Avez-vous déjà passé des castings ou auditions ?
E.E : Oui, j'ai passé des castings, en tant que comédienne et en tant que chanteuse, rarement, mais suffisamment pour savoir que ce n'est pas donné à tout le monde de tenir le coup face à cet exercice. Les échecs peuvent amener certains à se poser la question, forcément un peu bête, de leur valeur ou de leur légitimité.
Un conseil à donner aux membres de Casting.fr qui se lancent dans le milieu artistique ?
E.E : Cette sage parole : si on est un marron, on devient un marronnier.
informations pratiques :
« Pantoum », le nouvel album d’Enzo Enzo, est disponible sur toutes les plateformes. La version physique sera disponible à partir du 15 novembre.
Enzo Enzo sera en concert au Théâtre de la Tour Eiffel (4 Square Rapp, 75007 Paris) le 19 novembre prochain.
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Crédit photo : Marian Andréani