"L'impossible n'est qu'un possible inexploré" telle est la devise de Dominique Frot qui se livre à travers cet interview

"L'impossible n'est qu'un possible inexploré" telle est la devise de Dominique Frot qui se livre à travers cet interview

"L'impossible n'est qu'un possible inexploré" telle est la devise de Dominique Frot qui se livre à travers cet interview

Bonjour Dominique, vous avez fait vos debuts sur les planches au théâtre. Ensuite, au fil des années vous vous êtes fait un nom dans le métier en multipliant les collaborations au théâtre, cinéma et aussi à la télévision.
Pouvez vous nous dire d'où vous vient toute cette énergie pour arriver à concilier chaque projet ?


DF : Cette énergie vient d'ailleurs. D'un détachement déterminé ; d'une détermination dans le détachement. Ce ressenti profond du non-être poursuivant l'homme sans cesse, comme un agent secret. Pendant le jeu sur le plateau, et seulement là, cette étrangeté cède la place à une cohérence, une qualité humaine pour laquelle je dois lutter sans cesse. Y a du boulot : Auschwitz est la plus fidèle expression de la modernité. Ce n'est pas moi qui le dis...

Vous vous êtes formée au Conservatoire national d'art dramatique à Paris et à l'Ecole normale supérieure de musique. Ce sont des grands écoles qui vous ont appris le métier à travers la discipline. Pourquoi ce choix ? Qu'est ce que ça vous a apporté ?

DF : Je ne choisissais rien, quelque chose m'entraînait, qui est bien au delà de mon métier. Aujourd'hui, je dirais "une fuite", "fuir". Parvenir à être humain dans un monde inhumain.

Vous êtres une actrice proche de votre public à travers vos choix comme par exemple la série "SODA" entre 2011 et 2015. Comment faites-vous pour choisir tel ou tel scénario ? Quel est votre secret ?

DF : Le secret, plutôt que "mon", car je ne connais pas le pronom possessif. Ce ressenti profond du non-être, poursuivant l'homme sans cesse comme un agent secret. Dans la situation extrême d'aujourd'hui, chaque individu est mu par sa propre survie. Il existe un point où on a la possibilité de doubler ses chances de survie et où on rejette cette chance. Il existe une notion immatérielle, sans laquelle on ne peut pas vivre ; cette notion balaie même les intérêts vitaux. J'aspire peut-être à voir ce que la vie aspire à atteindre. Le lien entre mon existence et mon travail est sérieux ! Afin de prendre conscience de ce dont je dois encore prendre conscience et éviter l'évidence, les évidences, qui sont, pour moi comme une autodestruction.
Je souffre d’un sentiment d’altérité, qui s’appuie sur la réalité de notre condition humaine. C’est une sensation d’étonnement, d'absence de forme, d’incertitude la plus totale, que ma vie ne tient qu’à un fil ; laquelle vie n’est de toute évidence pas la mienne, bien que ce soit moi qui la vive, en souffre et finirai par en mourir. Si bien que je ne suis pas sûre du tout de sa réalité et de l’existence réelle de mon environnement et de moi-même. Il existe une notion que rien n’altère qui vit sous la même forme chez chacun de nous. Sentir que nous pouvons court-cicuiter l’inconnu nous regénère. Au-dessus du gouffre, tout est terriblement réel. Nous vivons tout le temps au-delà de l’extrême, mais en l’occultant, de toutes nos forces, pour construire un monde raisonnable et pour exterminer tout ce qui n’est pas raisonnable.

En UN mot, comment vous définiriez-vous ?

DF : J’incarne seulement une course qui me contraint à communiquer sans cesse : "course" donc, ou bien "partir", ou" fuite", ou "fuir", ou "disparaître".

Quels sont vos derniers coups de cœurs en matière de cinéma ?

DF : Kaouter Ben Hania : "La belle et la meute" / Chad Chenouga : "De toutes mes forces" / Gomis : "Felicité" /  Zviaguintsev : "Faute d'amour" / Robin Campillo : "120 Battements" / Lynne Ramsay :  "A beautiful day" / Kaurismaki : "L'autre côté de l'espoir" /  Losznitza : "Une femme douce" / Maysaloun Hamoud : "Je danserai si je veux" / Thomas Kruithof : "Mécanique de l'ombre"/ Grand corps malade : "Patients" / Teddy Lussy Modeste : "Le prix du succès" / Tarik Saleh : "Le Caire confidentiel"

Nos membres sont nombreux à vous apprécier en tant qu’actrice et personne. Quels conseils pouvez vous leur donner ?

DF : Marcher. Le premier pas sera le regard vers le dedans, C’est la moitié du chemin. Le deuxième pas doit entre un regard efficace vers le dehors. Observation soutenue du monde extérieur. Où se fait le contact du monde du dedans et du monde extérieur.

Méditer ce passage de Koltès : "Et si je suis ici en parcours, en suspension, en déplacement, hors jeu, hors vie, provisoire, pratiquement absent, pour ainsi dire pas là, (car dit on d'un homme qui traverse l'Atlantique en avion, qu'il est à cet instant au Groenland?). Ce que je redoute c’est le regard de celui qui vous présume plein d’intentions illicites et familier d’en avoir. Non pas seulement à cause de ce regard lui-même, trouble pourtant au point de rendre trouble un torrent de montagne, et votre regard à vous ferait remonter la boue au fond d’un verre d’eau - mais parce que du seul poids de ce regard sur moi,  l’innocence se sent coupable, et la ligne droite, censée m mener d’un point lumineux à un autre point lumineux, à cause de vous devient crochue et labyrinthe obscur dans l’obscur territoire où je me suis perdu."

Avancer toujours à l’intérieur d’un rôle plus loin, jusqu’à briser le personnage par les tous côtés, comme un condamné à interpréter l’homme et qui voudrait s’en défaire, pour entrer en solitude, publiquement. Car l’image du visage humain, que l’on croit avoir, demande à être gommée régulièrement, blanchie. L’homme est le seul animal qui redemande périodiquement à être détruit.

Rétablir un courant de mort dans le courant de vie. Faire sentir sa part d'inexistence. Etre ailleurs que dans le travail, penser à autre chose, se laisser rêver. Tenter le hors d'attente. Brûler de cette brûlure que le monde utilise pour se détruire.

L'impossible n'est qu'un possible inexploré. Regarder ça comme un enfant qui grandit justement. Etre poreux à l'univers...